Lors de nos voyages en Roumanie, Pauline tourne, depuis 2018, un film documentaire au long cours qui s’intitulera :
« Jouer sa vie »
Le 20 septembre dernier à Paris, elle nous en projetait, en avant-première, quelques extraits.
Matin ensoleillé. Une grande maison à plusieurs étages
Dans le couloir, une petite fille de 7 ans monte les escaliers à grands pas. Elle nous guide au premier étage puis s’arrête sur le palier et se tourne vers la caméra.
« Bienvenue dans ma maison, vous êtes sur la chaîne de Maria, si vous aimez, mettez des « J’aime » sinon des « J’aime pas »… Je ne me fâcherai pas. »
« Viens, père Noël, allons visiter ma petite maison ! Entrez dans ma chambre, bon désolée elle est un peu en désordre… »
Nous suivons Maria qui nous ouvre les portes de la maison et nous fait pénétrer dans son univers.
Dans une autre pièce de la maison, un adolescent est allongé dans son lit et joue sur son téléphone portable. Accrochée au mur, une photo de lui le montre, plus jeune, sur une scène de théâtre. Nous sommes embarqués dans ce souvenir.
Dans la salle de répétition, rose pâle, à Holod
Deux garçons appréhendent le texte de La Tempête de Shakespeare.
Vali, lit le texte avec difficulté.
Mihai décide alors de le faire répéter intensivement.
Prononcer une fois, deux fois, trois fois les phrases. Le jeune Vali bute sur les mots, s’applique, se concentre, répète.
« Ne hache pas le texte. Mais fais des pauses aussi, respire ». Le grand Mihai, avec fermeté et autorité, ne le lâche pas, lui assène de recommencer.
Vali aussi concentré soit-il, a envie de rire aussi. « Spre larg, spre larg ».
Dans son regard, une once de respect et d’admiration pour cet aîné si assuré qui le dirige.
Mihai l’aide aussi à comprendre
son rôle : le chef de bord qui alerte
les petits matelots de la gravité
de la tempête en vue.
Retour à la Casa familie
Dans sa chambre, la petite Maria, un micro à la main, se lance dans un sketch. Elle se glisse dans la peau d’une maîtresse d’école, autoritaire, qui inspecte les devoirs de la petite Antonia, timide, impressionnée par cette improvisation pleine d’allant.
« Pourquoi n’as-tu pas fait tes devoirs ?! »
« J’étais à la montagne et je n’ai pas pu les faire » répond Antonia.
« Même quand on va à la campagne, à Holod, on peut prendre
un cahier avec soi
et travailler ! »
Holod, répartition des rôles
Les jeunes, assis sur des bancs disposés en cercle, découvrent le texte de la pièce Inès de Portugal.
Martine distribue les rôles, des personnages principaux aux plus petits rôles. Tour à tour, ils lisent leur texte : Mihai jouera le roi, autoritaire, qui veut marier son fils Pedro, déjà amoureux d’Inès, à l’Infante.
Vali refuse de lire et ne veut jouer aucun personnage. Tous ont les yeux rivés vers le texte. Lui écoute d’une oreille tout en jouant avec une brindille. La lecture du texte s’achève.
Vali s’approche de Martine qui lui demande :
« Tu es quoi toi ? Un satellite ? Une étoile ? Le soleil, la lune ? Une comète ? Qu’est-ce que tu es ? »
Vali : Je veux un rôle !
Martine : Tu es sûr ?
Vali : Oui
Martine : Sûr, sûr ?
On essaie ?
Vali : Oui. Non. (Il rit)
Martine : Quel rôle tu veux ?
Vali : Le maréchal de camp.
Mihai : improvisation
Dans une pièce aux murs décrépis, à Holod, je propose à Mihai, de jouer une improvisation théâtrale sur sa propre vie, sur son « besoin d’être regardé » – selon ses mots.
Avec une certaine prestance, il regarde droit devant lui.
Aujourd’hui, je me tiens devant vous. Je suis là où je me sens bien car je suis regardé : par vous, par toi, par toi…
Il pointe du doigt des spectateurs imaginaires.
Je me sens écouté comme jamais je ne l’ai été, je capte votre attention.
Il fait de grands gestes englobant le public.
Je vous présente mes pensées,
celles que je n’ai jamais pu dévoiler en dehors de cette scène.
Des sentiments que je n’ai jamais pu exprimer verbalement.
Un regard.
Le tremblement d’une main.
Les gestes qui trahissent les émotions.
Je me souviens de la première fois que je suis monté sur scène.
Je me suis assis et je vous regardais, d’un air perdu.
Il s’assoit, regarde autour de lui apeuré, se touche les mains, le visage puis se relève.
Maintenant je suis debout, j’ai grandi. Je vis grâce à vous car vous m’avez aimé sur scène.
Son regard s’illumine, il sourit fièrement et fait durer le silence.
Martine : pourquoi le théâtre ?
Le grand challenge, Maria : « pourquoi le théâtre ? », c’est de voir que dans la même personne, il y a des personnages différents. Je peux être furieux, je peux être amoureux, je peux être…
Le danger, pour les enfants, c’est d’être stigmatisés seulement dans une position. Tu vois ?
Vali est stigmatisé dans le rôle du fou, là, en ce moment.
Et puis ça dure depuis un moment.
Et si nous faisons du théâtre, c’est pour qu’il voie qu’il peut faire autre chose.
Tu sais que le théâtre a été interdit dans certaines civilisations.
Parce qu’il y a un acte libératoire.
C’est thérapeutique de dire « aujourd’hui, je suis un soldat, aujourd’hui, je suis … une mariée, aujourd’hui je suis … ». Tu vois ?
Et certaines religions interdisent ça.
Parce que le théâtre est très subversif. Il donne de la liberté. Ça j’en suis convaincue.
Il donne la liberté de dire : « Je ne suis pas uniquement victime de ma vie. Je ne suis pas obligé d’être toujours un alcoolique ou… Je peux aussi être un prince, une princesse… »
Il y a une très belle phrase de Jean-Louis Barrault qui dit « Le théâtre met les mains dans toute la misère ».
Le théâtre fait exprès de prendre tout ce qui est noir, tout ce qui est sale, pour essayer de le transformer.
Pas pour rester dans le sale et le noir mais pour le tirer vers le haut.